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Interviews :

Kevin Anin : «J'ai tout ce qu'il faut, je ne marche pas, c'est tout»

L'Equipe, le 06/10/2015 à 22h55

Victime d'un accident de la route en juin 2013, Kevin Anin, l'ancien milieu de terrain, aujourd'hui paraplégique, tente de se construire une nouvelle vie, loin du football. Presque apaisé.

Kévin Anin se fait attendre. Un peu comme avant quand, joueur, il se faisait attendre avant de se rendre en salle de presse. Sauf que, cette fois, l’ancien milieu du Havre, de Sochaux et de Nice, paraplégique, a une excuse : chaque geste du quotidien lui prend un temps fou. Sous les yeux de sa mère, Nathalie, et de sa sœur Kimberley, dont il est très proche, c’est à la force des bras qu’il se hisse sur le canapé blanc du salon qui, par ses murs immaculés, sa décoration sommaire et la PS4 branchée au téléviseur, rappelle qu’il fut un footballeur professionnel. Sa compagne déplie délicatement ses jambes frêles qui, autrefois, envoyèrent valser quelques adversaires.

Dans sa maison acquise cet été, à deux pas de l’aéroport du Havre, tout témoigne de sa nouvelle situation, depuis les appareils de rééducation jusqu’à la piscine intérieure, en passant par l’ascenseur qu’il a fait installer pour améliorer son autonomie. Depuis son accident de voiture, le 3 juin 2013, en compagnie de son cousin et de trois copains, tous indemnes, sa vie a basculé. Entre les hauts et les bas, ce garçon attachant de vingt-neuf ans cherche dans cette épreuve des réponses, un nouveau sens à son existence. Il ne rejouera plus, ne marchera même probablement plus. Pourtant, alors qu’on l’avait découvert tourmenté, peut-être dépressif par moments, l’ancien Sochalien apparaît, malgré son handicap, plus serein. Et c’est le plus rassurant.

- On a envie de vous poser une seule question : comment allez-vous ?
Ça va bien.

- Sur le plan médical, où en êtes-vous?
Je n’ai pas suivi le processus habituel, je n’ai pas poursuivi la rééducation entamée après l’accident. Ensuite, j’ai mis du temps à me remettre dedans, jusqu’à cet été quand j’ai décidé de reprendre tout seul.

- Pourquoi?
Juste après l’accident, mentalement, j’étais là, prêt à revenir le plus vite possible, à mettre les bouchées doubles. Puis on a découvert que j’avais développé une embolie et un staphylocoque doré durant ma période d’hospitalisation à Rouen, sans le savoir. Une fois à Kerpape (un établissement de soins de suite et de réadaptation, près de Lorient), ils m’ont mis en quarantaine à cause du staphylocoque. J’ai été retardé dans ma rééducation, mais je me suis dit que ce n’était pas grave. Je ne voulais pas lâcher et puis j’ai eu une escarre. Je repartais de zéro et, dans ma tête, j’ai craqué, je m’en foutais. Kerpape, c’était bien, les kinés, les médecins sont des gens compétents, il y a tout pour travailler, mais le milieu hospitalier, je n’y avais pas ma place. Personne n’a sa place dans ce genre d’endroit mais ce n’était vraiment pas pour moi. On te réveille le matin à 6 heures, on allume directement la lumière, on te pique, on regarde ton corps, des femmes te mettent des suppositoires… Je ne pouvais pas, je n’y arrivais pas. On me shootait au Xanax (un tranquillisant), j’étais encore plus fatigué le matin, je leur ai dit : “Arrêtez avec votre truc (le Xanax)?!” Je n’avais pas besoin de ça, ils me l’ont enlevé et j’ai fait des progrès.

« Il y a de nouvelles sensations que je ne connais pas, mais je ne souffre pas. Ou alors je vis avec. C'est bien, cela veut dire que mon corps n'est pas mort »

- Physiquement, vous souffrez?
Ce n’est pas de la souffrance, c’est une gêne. Le plus dur, c’est l’équilibre. Car je suis paralysé à partir de là (il montre le plexus), si cela avait été au niveau du bassin, cela aurait été bien, car j’aurais eu un meilleur équilibre (assis, il peut avoir des sensations de vertige). Il y a de nouvelles sensations que je ne connais pas, mais je ne souffre pas. Ou alors je vis avec. C’est bien, cela veut dire que mon corps n’est pas mort.

- Vos journées ressemblent à quoi?
J’ai eu une longue période où je vivais à l’envers : je dormais le jour, je me réveillais à 18 heures et je me couchais entre 8 et 10 heures du matin. Sinon, le matin, je fais mes soins, avec la table de verticalisation (1) pour retrouver l’équilibre justement. Dans ma chambre, j’ai une barre pour travailler les bras. J’ai aussi une salle avec du matériel de rééducation. Cela dépend comment je vais dans ma tête, mais je travaille deux heures par jour.

- Est-ce que, parfois, vous avez lâché mentalement?
Je n’avais pas l’impression d’avoir lâché, mais, en vrai, tu lâches. Je me suis laissé aller plutôt, en me disant que cela allait venir tout seul, alors qu’on n’a jamais rien sans rien. “Aide-toi, Dieu t’aidera !” Je me suis mis ça dans la tête.

- Vous repensez à l’accident?
Oui, j’y repense. Je refais toute l’histoire dans ma tête et je me dis que c’est comme ça, c’est le destin. On ne peut pas revenir en arrière ; c’est dommage, mais c’est comme ça. Tous les jours, on passe à côté de trucs comme ça et on ne le sait pas. Juste avant l’accident, je devais aller en Thaïlande. Si j’y étais allé, peut-être que je me serais crashé (en avion). On ne sait pas. J’aurais pu aussi n’avoir qu’une jambe cassée et me dire : “Ouah, c’est un truc de fou !” T’es arrêté six mois et, derrière, tu recommences. La leçon n’aurait pas été la même. C’est une leçon de vie qui rappelle qu’on n’est rien, que cela n’arrive pas qu’aux autres. J’ai eu un beau destin, j’ai été footballeur professionnel, ce n’est pas donné à tout le monde.

- Vous êtes-vous vu mourir?
Je me vois au sol, dire à mon cousin : “Ne me laisse pas, ne me laisse pas !” J’ai la sensation d’avoir été allongé dans l’herbe et mon cousin m’a confirmé ensuite que, oui, j’étais bien dans l’herbe. Je lui disais : “Je me sens mourir” et après, plus rien, je me réveille à l’hôpital.

- Vous devinez rapidement que vous êtes gravement touché?
Les jambes, tu comprends qu’il y a un problème, mais tu ne sais pas trop. Je les sentais engourdies, mais je pensais alors que cela reviendrait rapidement.

« Les médecins m'ont dit que je ne remarcherai pas, mais je ne les écoute pas »

- Quand apprenez-vous que vous êtes paralysé?
Les médecins m’ont plongé dans le coma artificiel car, à mon premier réveil, j’étais trop énervé, j’avais un truc dans la bouche (une sonde), je n’arrivais pas à respirer. Ensuite, avant de revoir le médecin, j’avais intégré plusieurs options dans ma tête, notamment celle de rester paralysé. Inconsciemment, tu le sens. Et là, le médecin dit : "Monsieur Anin, vous êtes paralysé.” Direct. Et moi, je le regarde dans les yeux, j’écoute ses explications. Au début, je pensais qu’il me faisait une blague pour que je prenne conscience que ce qu’on avait fait était dangereux. Après, j’ai réalisé… J’ai mis une semaine et j’ai craqué, j’ai pleuré. Surtout pour mes proches.

- Pour vous aussi!
Moi, c’est mes proches. Ma mère a failli perdre son fils.

- Vous êtes resté en contact avec les autres personnes présentes dans la voiture?
Oui, avec mon cousin et avec deux autres copains.

- Et avec le conducteur?
(Il dit non de la tête.) Je l’ai revu, mais, après, la vie a fait que…

- Vous lui en voulez?
Non. Il n’a pas fait exprès, il s’est endormi au volant et lui aussi aurait pu mourir. C’est le destin, c’est comme ça.

- Et maintenant, votre avenir va ressembler à quoi ? Pensez-vous remarcher ou les médecins ne vous laissent-ils aucun espoir?
Ils m’ont dit que je ne remarcherai pas, mais je ne les écoute pas. Tout est possible. Ce ne sont pas que des mots, c’est à moi de faire le nécessaire. C’est long, mais un jour peut-être…

- Et le foot dans tout ça?
Ah ! (Il rigole.) Dès le début, je me suis dit, c’est cuit. Parfois, tu es blessé à la hanche, tu t’arrêtes deux mois et tu as du mal à revenir. Mais je kiffe toujours le foot, il y a eu un quiproquo à l’époque (2). Parfois, je repense à la façon de faire un plat du pied et c’est important de ne pas oublier ces gestes, même si ce n’est que dans ma tête. J’ai encore des réflexes, des envies de mettre un petit coup de pied et ça, ça me fait du bien. Ton corps te le demande. Le plus dur, c’est la frustration, mais ça passe.

« J'ai conscience de ma chance, quelque part »

- Avez-vous revu certains de vos matches?
Oui et j’ai vu comment j’étais énervé (sourire). Mon potentiel, en toute humilité, était énorme et je m’en rends compte maintenant. J’aimerais bien me frotter de nouveau au football professionnel. Et quand je repense aux périodes où j’étais moins bien, je me dis que, en fait, c’étaient des broutilles. Je le savais mais quand tu es dans la tourmente… Tu crois avoir tout vécu, le plus dur. Les croisés, par exemple, je pensais que c’était la blessure la plus grave pour un footballeur. Puis avec ma paralysie, je pensais avoir tout eu, alors que non. J’ai compris que j’ai eu de la chance, car j’ai encore mes bras. Avant de voir ce que tu n’as pas, regarde ce que tu as. J’ai appris ça.

- Vous aviez été dur avec le milieu du foot avant l’accident. Vous a-t-il agréablement surpris après l’accident?
Oui, j’ai eu des messages inattendus de certaines personnes. Après, il y a eu aussi beaucoup d’hypocrites. Certains venaient juste pour voir ce que j’avais. À l’hôpital (CHU de Rouen, juste après l’accident), c’était noir de monde, il y avait des gens, je ne sais même pas ce qu’ils faisaient là. Ils étaient là juste par curiosité. Mais les clubs de Nice et du Havre ont été vraiment présents. Je ne veux citer personne, car je vais oublier du monde.

- Qu’allez-vous faire sur le plan professionnel?
Le président (Jean-Pierre Rivère) m’a proposé de renouveler mon contrat (sa mère et sa sœur éclatent de rire, lui est très fier de sa vanne). Bah quoi? (Rires.) Déjà, je me concentre sur moi. Je n’y pense pas, j’attends. Si je me décide pour une activité professionnelle maintenant, cela signifie que j’ai intégré le fait que je passerai ma vie en fauteuil.

- Vous avez gagné très correctement votre vie, ce qui vous permet de vivre votre handicap avec moins de contraintes que d’autres au quotidien. Avez-vous peur d’être dans le manque, un jour?
Ma mère peut vous répondre tout de suite. (Sa mère : – Il s’en fout).
Ce n’est pas ça la vie. L’argent pourrit le monde, l’homme. La galère, je l’ai connue plus petit. Je viens d’un milieu modeste, j’ai vu les huissiers. Du coup, quand j’ai eu de l’argent, jamais je n’ai pété les plombs. Jamais, je n’ai jamais voulu me travestir pour de l’argent. Mais j’ai conscience de ma chance quelque part. C’est dur pour les personnes handicapées. Moi, j’ai les moyens de m’acheter une maison avec une piscine pour faire ma rééducation. Je pense vraiment à ceux qui sont en galère.

- Êtes-vous heureux?
C’est quoi être “heureux” ? On n’emploie pas les bons mots. Quand j’étais malheureux, en réalité, je ne l’étais pas. Quand tu as des principes, que tu sais ce que tu veux, tu as ta propre définition du mot heureux. Il me manque juste un petit truc, mais, de toute façon, cela a toujours été le cas. C’est le propre de l’homme, il en veut toujours plus. J’ai tout ce qu’il faut, je ne marche pas, c’est tout. C’est bizarre mais par rapport à avant, je respire. Si j’avais aujourd’hui mes jambes, si je jouais encore au foot, peut-être serais-je devenu fou ! Il y a du bon dans ce que je vis. Cela m’empêche peut-être de faire des bêtises. Je fais même plus de choses qu’avant l’accident, je suis plus famille. Mes petits neveux, j’en profite pleinement. Quand ils sont sur le canapé avec moi, je ne peux pas m’enfuir. (Rires.)

Yohann HAUTBOIS
L'Equipe



(1) Cet appareil permet la stimulation de la circulation sanguine dans les membres inférieurs et aide à leur musculation.

(2) En 2011, pour expliquer ses absences à l'entraînement à Sochaux, il avait déclaré dans L'Équipe «ne plus supporter les contraintes du football professionnel». «En grandissant, je ne sais pas pourquoi, j'ai perdu la passion.»






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Pts J V N D Diff
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 4.    Lille 49 28 13 10 5 +17
 5.    Nice 44 28 12 8 8 +6
 6.    Lens 43 29 12 7 10 +6
 7.    Lyon 41 29 12 5 12 -7



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