Interviews :
Fabrice Bocquet : « Pas possible de garder ses meilleurs joueurs »
L'Equipe, le 06/09/2025 à 15h15
Ancien directeur général promu cet été président de l'OGC Nice, Fabrice Bocquet est revenu sur l'été traversé par son club et les contraintes budgétaires qui ont constitué le cadre de son mercato.
Fabrice Bocquet avait une annonce à faire, ce vendredi, à L'Équipe et Nice-Matin : celle de la prolongation de son entraîneur Franck Haise jusqu'en 2029. Le nouveau président de l'OGC Nice, qui a succédé en août à Jean-Pierre Rivère, en a profité pour balayer l'ensemble des sujets d'actualité de son club.
- Pourquoi Nice n'a-t-il pas approfondi certains dossiers lors du mercato ?
Ça a été un mercato où il a fallu être résilient. C'est comme ça que nous l'avons vécu en interne. Mais il y a eu de l'unité, c'est ce que j'ai apprécié. Et ce malgré la complexité économique et les aléas. Par exemple, on a eu quatre situations médicales qui ont fait qu'on n'est pas allé au bout de certains transferts. Il y a eu celle de Königsdörffer, mais aussi d'autres que je ne détaillerai pas parce que cela relève du secret médical. On a protégé les intérêts de l'OGC Nice en n'avançant pas sur certains dossiers. Parce qu'on sait que dans notre effectif, on peut parfois manquer un peu de fiabilité. On sait également que par le passé, il a pu y avoir certaines situations comme ça où des décisions différentes ont pu être prises. Il n'était pas question de dire : « Vous avez vu, on a fait signer tel nom », même si on savait qu'il y avait un risque important derrière.
- Pourquoi l'effectif semble-t-il à la hauteur des ambitions européennes du club ?
La réalité du football français fait qu'il n'est pas possible de garder ses meilleurs joueurs. Je n'aime pas utiliser le terme « affaibli ». Dire cela, pour moi, ça équivaut à trouver des excuses. Je réfléchis de façon relative en regardant l'ensemble des clubs français. Et on a des joueurs dans l'effectif qui peuvent prendre cet envol, soit des jeunes, soit des cadres. Donc oui, on a perdu des joueurs, mais comme tous les autres clubs de Ligue 1. Je ne veux absolument pas que ça soit une excuse.
- Pourquoi Nice n'a-t-il pas investi davantage ?
Ça fait deux années de suite qu'on a une balance de joueurs nette de 30 millions d'euros positive. C'est un objectif que nous nous sommes fixés en interne et qui est extrêmement clair. Mais au-delà même des ventes effectuées, il faut regarder ce qu'on a investi : environ 30 millions d'euros sur ce mercato. L'été dernier, on avait investi un peu plus de 17 millions d'euros. On a donc pratiquement investi le double. Pourquoi il n'y a pas plus d'argent investi dans le recrutement ? Il y a plusieurs choses. Ça fait maintenant trois ans que je suis à l'OGC Nice. Au début, j'ai cru que j'avais rejoint un actionnaire État et pas un actionnaire entreprise, compte tenu des montants qui étaient largement supérieurs à 100 millions d'euros qu'il fallait qu'Ineos investisse chaque été pour que le club puisse juste passer l'année. Ce mode de fonctionnement n'était pas viable... Et tout ça s'inscrit dans un contexte catastrophique des droits télé. On va être précis : il y a deux ans, le club touchait 30 millions d'euros de droits télé ; l'année dernière, c'était 15 millions ; cette année, on va être à 8 millions. L'impact est cataclysmique. On est revenu au niveau des droits télé inférieur à ce qu'il se faisait au niveau des années 2000. Or, les clubs français sont de base très dépendants au transfert. Ils ont tous un déficit opérationnel très important. Donc, ils doivent compenser ces pertes par des transferts, par avoir une balance positive, sauf que ce fossé ne fait que s'accroître année après année à cause de la chute des droits télé. Donc, en fait, on ne fait que compenser des pertes, et en plus, dans tout ça, on a l'aide d'Ineos. Parce qu'Ineos a investi plus de 30 millions d'euros cet été. S'ils ne mettent pas les 30 millions, vous n'avez pas de budget pour recruter.
- Où situer Nice dans le paysage de la Ligue 1 ?
Si on regarde les difficultés financières, on est loin d'être une exception dans le football français. Regardez ce qui se passe à Lille, à Lens, à Lyon, dans l'immense majorité des clubs, sauf ceux qui disputent la Ligue des champions, un promu, le Paris FC, qui était en mesure d'investir beaucoup, et il y a la connexion Chelsea-Strasbourg extrêmement forte, qui a permis à Strasbourg d'investir beaucoup, dans un projet constitué de très bons jeunes joueurs, avec une politique de trading très forte. On estime qu'on doit se situer entre la 7e et la 8e masse salariale de Ligue 1. Quand on regarde la valeur de notre effectif, on continue à avoir une valeur qui doit être entre la 6e et la 7e de Ligue 1, aux alentours de 175 millions d'euros. Regardez les valeurs d'effectifs de clubs qui, l'année dernière, étaient à ces montants-là. Aujourd'hui, c'est moitié moins. On était la Ligue des talents. Il faut qu'on soit vigilant à ne pas devenir la Ligue de la perte des talents... On sait pertinemment que notre modèle, aujourd'hui, ce n'est pas d'être un club qui dispute chaque année la Ligue des champions. On ne fait pas 65 000 spectateurs de moyenne, on n'a pas l'avantage fiscal de Monaco, on n'est pas le Paris Saint-Germain. Et actuellement, le modèle multi-club de Strasbourg leur permet d'avoir un effectif avec de jeunes joueurs de très grande qualité. Derrière, nous, ce qu'on doit faire, c'est être extrêmement performants dans tout ce qu'on fait, certaines années surperformer, et surtout, que les droits télé de la Ligue 1 remontent la pente. Parce que tant que les droits télé de la Ligue 1 ne remonteront pas la pente, le fossé qu'il y a avec les clubs qui disputent la Ligue des champions ne fera que s'accroître.
- Pourquoi Nice ne développerait-il pas le même type de partenariat avec Manchester United que Strasbourg avec Chelsea ?
Déjà, l'année dernière, on ne pouvait absolument rien faire pour la simple raison qu'on participait à la même compétition européenne qui était la Ligue Europa. On ne pouvait effectuer aucune transaction entre clubs sur plusieurs mercatos, dont celui qui vient de s'achever. Or, les règles ont changé en juin dernier : on a su qu'on pouvait faire des transactions dès cet été. Sauf que ce n'était absolument pas prévu. Donc on est arrivés face à une situation inattendue. Et il y a un contexte sportif qui est différent. Chelsea sort d'une saison où ils ont fini en Ligue des champions, ils ont gagné la coupe du monde des clubs. Manchester est encore dans une saison de reconstruction par rapport à ça. Donc, même si la maturité de ce projet multi-club va avancer, à l'instant T, Manchester s'est surtout concentrée sur sa capacité à rebondir sur le court terme. Le multi-club au sein de l'OGC Nice et Manchester, je n'ai pas de doute sur le fait qu'il va se développer. D'ailleurs, Ineos est en train de se structurer pour renforcer le fonctionnement multiple. On aura notre propre modèle qui doit continuer à évoluer. On gardera l'identité OGC Nice. Ineos va s'exprimer prochainement pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur leur positionnement.
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