Claude Dusseau : « Hatem sait désormais qu'il a besoin des autres »

Formateur à l'INF Clairefontaine pendant dix-sept ans, Claude Dusseau a été l'un des tout premiers entraîneurs de Hatem Ben Arfa. Il raconte quels étaient les qualités et les défauts de l'ex-prodige du foot français et se satisfait de voir le Niçois «enfin être lui-même».

- Quels sont vos premiers souvenirs de Hatem Ben Arfa lorsqu’à 12 ans, il intègre Clairefontaine ?
Je me souviens qu’il n’était pas grand (sourire). Il avait un an de moins que tous les autres. Il était déjà très très convoité par beaucoup de clubs et la personne qui s’occupait de lui et qui s’en occupe toujours (son conseiller Michel Ouazine) avait un peu peur de le laisser aussi jeune dans un club. Hatem habitait la région parisienne, il pouvait rentrer chez lui et souffrir du moins de perturbation possible. Je pense que c’était une bonne chose : il a pu travailler correctement et sans doute un peu plus sereinement pendant trois ans.

- Son coéquipier de promo Quentin Westberg se souvient de recruteurs qui venaient l’importuner à la fin des entraînements…
Oui, il avait une certaine notoriété parce que très jeune, il faisait la pluie et le beau temps de ses équipes. Il avait davantage de qualités que tous ses coéquipiers. Et comme il y a un réseau de drainage très important en région parisienne, beaucoup de clubs étaient déjà intéressés, ce qui ne l’a pas arrangé au niveau de l’état d’esprit.

- Quelles étaient les qualités de Hatem à cet âge-là ?
Son pied gauche était assez extraordinaire ! Après les entraînements, je n’étais souvent pas content des autres qui le laissaient dribbler. Eux me disaient : «Mais on ne fait pas exprès ! On ne peut pas lui prendre le ballon !» Hatem avait aussi d’autres qualités, notamment une très très bonne capacité d’endurance, dont il ne se servait pas à l’époque. Je pense qu’il commence à s’en servir !

- Et ses défauts ?
Ce que je peux lui reprocher, si je dois lui reprocher quelque chose, c’est qu’il était persuadé que les gens avaient besoin de lui. Quand on dribble trop et qu’on ne passe pas son ballon, les autres se découragent. Je me souviens d’une déclaration de Zidane qui disait qu’au centre de formation de Cannes, on ne lui a pas appris à dribbler – il savait déjà le faire – mais à dribbler utile. Voilà ce que Hatem n’a pas compris suffisamment tôt. Quand tout le monde considère très tôt que vous avez des qualités extraordinaires, c’est difficile d’avoir la bonne attitude.

- Quel était votre travail avec lui ?
Quand il dribblait un peu trop dans les jeux d’entraînement, je le mettais à une touche de balle pendant quelques minutes. Et il s’en tirait brillamment !

- Quel regard portez-vous sur son parcours depuis Clairefontaine ?
On ne peut être que déçu. Il a eu une grave blessure (une double fracture tibia-péroné en 2010), il n’a peut-être pas choisi les clubs où il fallait aller et surtout, il n’a pas eu l’attitude qu’il fallait avoir pour enfin être lui-même : un joueur d’exception.

- Et le voir briller aujourd’hui ?
Je suppose qu’à son âge, il a fait un bilan. Il s’est déçu et il réagit. Il prouve qu’il a changé son état d’esprit. Hatem sait désormais qu’il a besoin des autres. Mais il ne faut pas que ça ne dure que quelques mois. Les bonnes choses, il doit les réaliser à chaque match. Il va être un peu plus surveillé mais il est capable de s’en sortir ! Cette attitude, il doit l’avoir jusqu’à 35 ans. Et il pourra partir à la retraite en se disant : ''J’ai musardé mais j’ai enfin extériorisé mes qualités.''»

Imanol CORCOSTEGUI
L'Equipe